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"BAC Nord" au cinéma : rappel des faits réels avant la fiction sur grand écran

Le film "Bac Nord" réalisé par Cédric Jimenez, sort ce mercredi. Cette fiction policière est inspirée d' une histoire bien réelle, un énorme scandale qui remonte à l’automne 2012 : 18 policiers d’une même unité d’une brigade anti-criminalité se sont retrouvés en garde à vue, durant 4 jours.

L'affiche du film, ici lors de l'avant première à Marseille © Radio France / Emmanuel Leclère

Les gardés à vue de 2012 étaient 18 policiers, membres de la même unité exerçant dans les quartiers excentrés sur les hauteurs de Marseille. Certains policiers de cette BAC Nord ont été envoyés en détention provisoire pour corruption, racket, trafic de drogue et enrichissement personnel. L’affaire jugée en avril dernier en première instance n’a pourtant débouché "que" sur quelques condamnations à de la prison avec des peine avec sursis et des relaxes. Relaxes pour lesquelles le parquet a fait appel – tardivement – au bout de 10 jours. L’affaire amplement médiatisée en 2012 s’est donc, au fil du temps et de l’enquête, largement dégonflée. Sur les faits en eux-mêmes, en particulier sur les accusations d’enrichissement personnel des policiers mis en cause.

Mais avec l’affaire de la BAC Nord, dissoute depuis, c’est un "système", avec ses méthodes policières musclées jusqu’à être "border line" pour faire du chiffre, du "crane" comme on disait à cette époque, qui a été mis au jour et questionné.

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"Gangrène" au sein de la police, c’était le mot assassin choisi par le procureur de l’époque, après la découverte de sachets de cannabis dans les placards du commissariat qui abritait la célèbre brigade anti-criminalité des quartiers nord de la cité phocéenne. Et ce, après 6 mois d’écoute des téléphones et la sonorisation des voitures de patrouille.

Des méthodes efficaces

Ceux qui étaient souvent considérés jusque-là comme des "supers flics" aux résultats impressionnants, et ce depuis la création des BAC au début des années 2000, étaient devenus à leur tour des "caïds", selon les premières accusations, des cow-boys ripoux à la gâchette trop facile. Des agents décrits comme violents, cupides, trafiquants de drogue. "C’est pourtant le même procureur qui quelques mois plus tôt venait boire des coups avec les gars lors de certaines des plus grosses opérations spectaculaires de la BAC Nord opérées dans les années 2010", raconte aujourd’hui l'un de ces anciens policiers marseillais. "C’était par dizaine de kilos de cannabis ou de cocaïne saisis, sans parler de cette affaire de kalachnikovs découvertes dans un coffre de voiture ! Tout sauf un hasard, ce n’était pas parce que [les collègues] étaient allés à la Bonne Mère ou parce qu’ils avaient le cul bordé de nouilles. Personne ne se demandait comment on avait les infos, parce que tout le monde savait".

Les "méthodes" de la Bac Nord ont été expliquées lors du procès qui s’est tenu en avril 2021. Certains des policiers les avaient reconnues sur procès-verbal. Ce sont les mêmes qui ont valu d’autres procès à d’autres policiers, y compris le commissaire Michel Neyret à Lyon : des relations fortes avec des informateurs, des "tontons" non déclarés et rémunérés avec une partie des saisies hebdomadaires d’argent et de stupéfiants jamais déclarées à l’administration.

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Un système illégal, mais paradoxalement toléré dès lors qu’il faisait visiblement ses preuves. "Les choses étaient en train d’évoluer à cette époque-là, mais on préférait y aller progressivement avec des gars qui risquaient leur vie au quotidien" confie un ancien chef de la police marseillaise. "D’autres, à la même époque, ont cru qu’ils pouvaient nettoyer d’un coup, pour faire un exemple”... “Pour tout cela", rappelle, l’un des suspects "ripoux" de l’époque, "on a pris 4 jours de garde à vue, on a été traités comme une mafia, comme des parias". Un mardi, le 3 octobre 2012, vers 7H30, "Ce jour-là, ils ne nous ont pas passé les pinces, les menottes. Mais pour ceux qui sont partis au trou, c’est arrivé par la suite, lors des extractions de cellules pour des auditions, et même deux mois après, alors qu’on savait que tout était en grande partie pipeau".

"En fait, on a su au bout d’une semaine que c’était en grande partie bidon, une semaine après le coup de filet", se rappelle Philippe Pujol, lauréat du prix Albert Londres pour ses enquêtes dans les quartiers marseillais les plus touchés par les trafics de drogue, à l’époque journaliste à La Marseillaise. "Je le sais d’autant mieux que c’est moi qui ai sorti l’histoire. Et on a vu le résultat au niveau judiciaire".

L’amertume, on la trouve aussi chez l’un des policiers concernés. "Tout ça pour ça, des peines avec sursis et des relaxes", explique "toujours aussi écœuré", l’un de ces ex-policiers de la BAC Nord, blanchi en première instance, mais qui attend, méfiant, le procès en appel. Pas plus que ses collègues il n’a porté plainte contre les procès-verbaux jugés biaisés du chef d’enquête de l’IGPN.

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Une enquête instrumentalisée ?

Sur une écoute, dans l’une des voitures sonorisée, un policier renifle un pochon de drogue saisi un peu plus tôt ; "ça sent" dit-il, avec son accent, logiquement, marseillais. Le commissaire de la police des polices en charge du dossier note alors "500", comprenant alors que 500 euros ont été volés à des dealers. "C’est arrivé à bien d’autres reprises", reprend un proche du dossier, "comme pour l’agent qui racontait dans l’une des voitures de patrouille surveillées qu’il avait réussi à se faire 5 000 dans le mois. On s’est rendu compte, après coup, qu’il avait évoqué un peu plus tôt dans la discussion le salaire des fonctionnaires. Et qu’en l’occurrence, 5 000 euros, ce qu’il arrivait à gagner avec sa femme, primes comprises...” Mais cette explication de texte ne figurait pas dans le P.V initial de la police des polices.

Un ancien commissaire marseillais, qui a suivi de près cette affaire, est persuadé que son collègue de l’inspection générale n’avait pas qu’un problème avec l’accent marseillais, mais bien qu’il voulait nettoyer la BAC Nord et qu’il n’avait pas les éléments à charge nécessaires au bout de plusieurs mois de surveillance. Alors il aurait chargé. Tout cela dans un contexte de guerre des chefs de la police marseillaise qui ont, selon cette même source, totalement instrumentalisé cette enquête.

En première instance, le tribunal correctionnel de Marseille a condamné onze policiers de l’ex BAC Nord à des peines allant de deux mois à un an de prison avec sursis et prononcé sept relaxes qui devraient donc être rejugées dans les mois qui viennent.

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