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Les handballeuses Cléopatre Darleux et Laura Glauser : "Nous encourageons les joueuses à devenir mères"

L'été dernier, Amandine Leynaud a refermé son grand livre bleu après seize années d'équipe de France et une première médaille d'or olympique à Tokyo. A présent ­reconnue, Cléopatre Darleux (32 ans, Brest) est toujours là et forme désormais un tandem de très haut niveau avec Laura Glauser (28 ans, Györ), internationale depuis 2012 mais non sélectionnée pour les derniers Jeux. A quelques jours du Mondial en Espagne (du 1er au 19 décembre) et d'un premier match de poule face à l'Angola, vendredi, les deux gardiennes et mères ont dialogué sur les questions d'égalité. Sans mettre de gants, comme sur le terrain.

Avec l'or olympique, l'équipe de France a-t‐elle crevé un plafond de verre?Cléopatre Darleux : Longtemps, on a eu un complexe ou la peur de gagner. A Tokyo, l'équipe a franchi un cap. À présent, comme l'ont fait les garçons entre 2008 et 2015, nous devons nous maintenir à un niveau très élevé.Laura Glauser : Je trouve que la page olympique a été tournée trop vite. Ce qu'elles ont vécu est extraordinaire, mais il aurait fallu plus de temps pour en profiter pleinement. Là, j'ai une impression de bâclé. De mon côté, ne pas être aux Jeux m'a permis de prendre un peu d'air. Je me sens plus fraîche.C.D. : C'est vrai, les trois premiers mois de la saison ont été très durs. Et encore, la pause inédite imposée par le Covid m'avait fait énormément de bien. Mais là, ça fait un an et demi sans vacances. On accuse le coup.

A Tokyo, la gymnaste Simone Biles a brisé un tabou en parlant de la charge mentale des athlètes de haut niveau. La ressentez-vous parfois?C.D. : Oui. Physiquement ça va, c'est dans la tête que tout n'est pas toujours rose. Il ne suffit pas de claquer des doigts pour être prête lorsque trois compétitions internationales s'enchaînent en douze mois.L.G. : Nos corps sont devenus des machines, on est habituées. En ­revanche, les défaites nous mangent psychologiquement. Et même les victoires, parfois : n'avoir pas pris toute la mesure du titre olympique crée de la frustration. Alors on encaisse toujours, mais on n'arrive pas forcément à se relâcher pour repartir aussi fort.C.D. : Même pour notre psychologue Richard Ouvrard, la charge mentale était une réalité : il était avec nous à chaque compétition depuis 2016 et s'est retiré après les Jeux. Son travail m'a fait énormément de bien. Heureusement, une nouvelle psy vient de nous rejoindre.

Cléopatre, au lendemain du sacre, vous avez regretté le traitement médiatique inégal entre femmes et hommes. L'amertume est toujours là?CD : Oui, on aurait mérité de faire la une du lundi, comme les hommes la veille. Parfois, on n'ose rien dire. Là, j'ai écrit sur les réseaux sociaux ce que j'en pensais. Il y a des circonstances, mais sur le résultat lui-même, je ne comprends toujours pas.L.G. : Être championnes olympiques est plus marquant à mes yeux que l'arrivée en France d'une star du foot [Lionel Messi au PSG].

Qu'en pensent vos homologues masculins?C.D. : On a discuté avec Vincent Gérard [gardien des Bleus] : il est très impliqué dans le hand féminin en tant que président de l'Association des joueurs professionnels. C'est important que des hommes nous soutiennent, car ils ont plus de poids. Mais ça compte tout autant qu'on s'investisse nous-mêmes sur les questions d'égalité. Il faut exprimer nos opinions. J'essaie de montrer la voie aux plus jeunes, pour qu'elles disent ce qu'elles pensent une fois que je ne serai plus là.L.G. : Aux Jeux, le traitement entre les deux équipes se rapproche de l'égalité. Mais il me semble qu'on entend davantage parler d'un titre mondial ou européen masculin que féminin. C'est une réalité à l'échelle de la société tout entière. On avance par petits pas, mais au moins dans la bonne direction.C.D. : Aujourd'hui, les partenaires de la Fédération font un effort de parité. Dans notre milieu, on est bien considérées.

En 2007, les internationales avaient accepté des photos glamour pour promouvoir le Mondial en France. Aujourd'hui, ça choquerait?C.D. : Oui, car la société n'est plus la même. À l'époque, on ne se posait même pas la question, on s'habillait bien et on posait.L.G. : Il y a d'autres manières de nous mettre en avant qu'esthétiquement.

Vous avez chacune fait une pause bébé. Vous l'a-t‐on reproché?C.D. : Ma grossesse n'était pas programmée donc mon club a été surpris. On ne m'a pas mis des bâtons dans les roues mais j'ai senti que c'était problématique car, trois mois avant, une nouvelle joueuse avec un salaire mirobolant était tombée enceinte. J'ai su qu'il y avait eu des remarques dans mon dos. Plus tard, j'ai dit à notre manager qu'on devrait toutes faire des enfants car je suis revenue en pleine forme : mes gros problèmes aux tendons ont disparu. J'ai dû perdre du poids, remuscler mon corps, mais trois mois après l'accouchement j'étais bien.L.G. : Revenir d'une rupture des ligaments croisés m'a coûté plus que de digérer ma grossesse.C.D. : Nous faisons des enfants puis nous revenons, donc les employeurs auront de moins en moins peur. Et ne mettront plus la pression pour décourager la maternité, comme c'est arrivé à d'autres. J'encourage les joueuses à devenir mères. Les sportives n'ont pas à choisir entre carrière et vie privée. L.G. : J'ai entendu dire qu'en ­Hongrie il est écrit qu'une grossesse peut provoquer une rupture de contrat ou une diminution de salaire. Une joueuse m'a confié qu'elle voulait être enceinte mais qu'alors son salaire tomberait à 200 euros. C'est aberrant.

L'égalité salariale, justement, est-ce encore un mirage?C.D. : A Brest, notre budget équivaut au troisième ou au quatrième de la première division hommes. Pourtant, les salaires n'ont rien à voir. L'élite masculine n'a pas énormément de droits télé, alors pourquoi cette différence? Il faut s'intéresser à cette question, même si Brest, en donnant des rémunérations plus élevées, a bousculé le marché et provoqué une augmentation du salaire moyen d'environ 20%, à 2.800 euros. C'est beaucoup, non?L.G. : A Györ, je gagne plus qu'à Metz [2010-2020] car le club a un sponsor puissant, Audi.

Ce Mondial, l'équipe de France est-elle condamnée à le gagner pour ne pas retomber dans un relatif anonymat?C.D. : L'idéal, c'est de gagner pour fixer l'intérêt des médias et du public. Mais si on échouait, il faudrait que l'on s'intéresse à nous quand même. J'aimerais qu'on réduise l'écart entre les périodes à fortes sollicitations, comme au lendemain des Jeux, et celles où on retombe dans l'anonymat, peu de temps après.