tankionlinar

L’étrange sujet du brevet qui fait écrire aux élèves «l'armée, c'est super»

Temps de lecture: 6 min

Les copies du brevet –pardon du DNB pour «Diplôme national du brevet»– viennent d’être corrigées par les professeurs d’histoire-géo... Ou plutôt par les professeurs d'histoire, de géographie ET EMC, comme éducation morale et civique. Avec une petite complication. Avec les nouveaux programmes de 2016, c'est la première fois que l'EMC est enseignée de manière cyclique, comprenez avec un programme qui s'étale sur trois ans (de la cinquième à la troisième), les enseignants choisissant, dans cette logique de cycle, ce qui est enseigné pendant telle ou telle année. Cette année, les enseignants avaient eu la consigne de travailler sur certains chapitres des manuels, et en particulier sur la défense nationale. Et c’est bien un sujet concernant la défense nationale qui est tombé à l'épreuve d'histoire-géographie-EMC. Voici l’énoncé du troisième exercice:

La première chose qui me saute aux yeux, c’est le coté un peu militariste du sujet. J'étais encore toute petite quand mon frère écoutait Renaud chantait «j'aime pas le travail, la justice et l'armée», mon père m'avait appris «Le Déserteur» de Boris Vian. Je n'ai rien contre les militaires mais ça forge une petite sensibilité. J'ai donc touché un mot de ce sujet à plusieurs enseignants. Oui, le sujet semble bien orienté. Un tel intitulé appelle des réponses du type «l’armée, c’est super». Mais en fait, cette sensibilisation des élèves au rôle des forces militaires fait partie du programme d'EMC depuis longtemps! Comme me le précise Laurent Fillion, enseignant: «nous parlons de la Défense nationale car la notion est au programme d’EMC. Il existe aussi un “parcours citoyen” qui implique que nous parlions aux élèves de “la journée défense et citoyenneté” qui est l’ultime étape de ce parcours».

Pour cet enseignant, qui a corrigé des copies du brevet, le sujet n’a donc rien de choquant au regard des programmes que tout le monde connaît (ou devrait connaître). Le professeur affirme en effet n'avoir lu ni d’apologie de l’armée ni de phrase spécialement critique. Les élèves cherchent rarement à exprimer un point de vue personnel mais plutôt à décrocher des points.

C'est quoi une «note»?

Hormis ce débat sur les valeurs, plusieurs enseignants m'ont confié leur désarroi sur la manière dont la question était amenée, à l'instar de Laurent Fillion qui été surpris par la formulation de la consigne:

Pour Alexandre: «à moins d’avoir préparé un concours administratif, difficile de savoir à quoi doit ressembler une note».

Arrêtons-nous deux secondes sur cette idée de note... Qui sait à quoi peut ressembler un tel document? S’il existe dans la vraie vie? Vous peut-être. Moi je n’en ai pas la moindre idée, je ne sais pas ce que j’aurais écrit à 15 ans.

Le brevet de maths 2015, aussi facile que la tête à Toto

Lire

Pour Laurent Fillion, cela a abouti à ce que les élèves ne réussissent pas malgré leurs connaissances. Il y a eu des contresens. Des élèves ont écrit des discours de remerciements à l’armée pour l’opération Vigipirate (cela m'a été rapporté plusieurs fois). L'enseignant ajoute:

L’étrange sujet du brevet qui fait écrire aux élèves «l'armée, c'est super»

Le sujet d'EMC est ainsi devenu un sujet d'invention, comme en français. Pourtant, le processus de validation des sujets, qui est toujours le même pour le DNB, a bien dû être respecté. Cela nous a été confirmé par le ministère de l’Éducation nationale qui précise la fabrication d'un énoncé: des sujets, conformes au programme sont proposés par des enseignants dans des académies chargées de les élaborer. Il y a des sujets différents pour la métropole, l’étranger, l’outre-mer. Ils font ensuite l’objet d’une «validation pédagogique» par les inspecteurs généraux, par un recteur puis par une commission nationale et, attention, «la composition de cette commission est confidentielle». Ensuite, les sujets sont testés, c’est toujours le cas pour tous les sujets d’examen par des enseignants avec des classes. Il est donc étonnant que le sujet ait finalement été proposé aux élèves, étant données les difficultés de compréhension évoquées plus haut.

«Vive l'armée»

Enfin, il y a encore autre chose qui chiffonne certains enseignants. Alex, également professeur dans l’académie d’Amiens souligne que, dans les «compétences» que l'élève doit acquérir à travers l’EMC, il y a aussi le fait de travailler son esprit critique. Point d'esprit critique à l'horizon dans ce sujet, si j’en crois Laura Mougel, la prof d’histoire-géographie dans le XVIIIe arrondissement de Paris avec qui j'échange régulièrement:

Selon Alex, l’originalité problématique du sujet réside également dans le fait que les élèves aient eu à parler de l’armée et convoquer les valeurs de la République dans le même mouvement. Pour le dire autrement, amener l’élève à dire: «l’armée respecte les valeurs de la République». Et de l'avis d'Alex (et du mien), c'est un point de vue qu'on devrait pouvoir interoger.

C'est aussi la réaction du principal syndicat du second degré qui a publié un communiqué lundi 3 juillet:

Sur la partie blog de Mediapart, Laurence de Cock souligne que les profs redoutaient cette épreuve:

Les enseignants se trouvent ainsi pris dans un jeu d'injonctions contradictoires: travailler l'esprit critique et orienter les sujets de manière à faire affirmer certaines choses aux élèves, comme le souligne Laura Mougel:

Des réactions à l'énoncé du sujet du brevet ont été ajoutées après publication.

En savoir plus:

Parents & enfants

école

brevet

Education nationale

armée